Le lycée agricole de Caulnes questionne la figure d’Antigone
« Le fait de jouer ce personnage d’Antigone, m’a fait découvrir que les textes de théâtre pouvaient parler de ce que l’on ressent et nous aider à le dire, nous permettre de le partager avec d’autres personnes. »
Chloé Maniscalco, metteure en scène de la compagnie l’Ernestine.
Personnage de la mythologie grecque, Antigone a su refléter une représentation libertaire au travers des siècles via les formes qu’elle a prises dans les récits de Sophocle, Jean Anouilh ou Bertolt Bretch pour les plus connus.
Atemporelle dans sa volonté d’exprimer la rébellion et le refus de l’ordre établi, celle-ci s’est muée en figure tutélaire dans le parcours de jeunes spectateur·rices et acteur·rice qui comme Chloé souhaiter faire partager leurs voix.
Chloé Maniscalco assiste la scène nationale de Saint-Brieuc depuis plusieurs saisons en tant qu’intervenante théâtre en collège et lycée. Elle a notamment jouée Aux plus adultes que nous de Samuel Gallet mis en scène par David Gauchard dans plusieurs établissements scolaires costarmoricains.
La Passerelle l’accompagne lors de cette saison 2022-2023 dans sa future création, Anti-gône. Ce spectacle, la metteure en scène a décidé de le jouer en salle de classe, mais aussi de l’y créer. Accompagnée par Marie-Laure Picard et Lou Rousselet, elles participent à trois semaines de résidence au sein du Lycée Agricole de Caulnes. Un environnement qui va nourrir la pièce mais qui permet aussi de concevoir un projet pédagogique à destination des lycéen·nes et de peut-être former une nouvelle génération d’adeptes du mythe d’Antigone.
Atelier préalable à la création du compte Instagram @showantigonesstudents mené par Erwan Maguet, attaché à la communication numérique à La Passerelle
Extrait sonore conçu par les élèves de 1ère STAV à partir des instruments de Marie-Laure Picard
Travail autour de l’affiche pour la venue de la compagnie L’Ernestine au Lycée de Caulnes
Le projet en étapes clés :
> Trois semaines de résidence en milieu scolaire > Mercredi 28 septembre : Visite de La Passerelle, rencontre avec l'équipe de la scène nationale et la compagnie L'Ernestine > 3 au 7 octobre : résidence de collectage et de dramaturgie > 12 au 16 octobre : résidence d'écriture et de mise en jeu > 27 février au 3 mars : résidence de mise en scène > 8 mars : création du spectacle Anti-gône au Lycée de Caulnes
Durée :
93 heures : 63 heures de création + 30 heures d'atelier pour les élèves
Participant·es : 8 élèves de 1ère STAV (sciences et technologies de l'agronomie et du vivant)
Objectif :
> Sensibilisation et participation à un processus de création artistique
> Développer son jugement critique et savoir l’exprimer
Encadrement : Erwan Bariou (enseignant du Lycée de Caulnes)
À la recherche des Antigônes vivantes
Première fois qu’ils et elles s’installent dans les fauteuils du Petit Théâtre, qu’ils rencontrent une compagnie théâtrale et pluridisciplinaires, qu’ils jouent du synthé, qu’ils évoquent la figure d’Antigone, …
Pour ces adolescent·es et leur enseignant, l’enjeu est aussi de savoir trouver les mots pour décrire leur travail et celui mené par les artistes présentes. À l’oral ou à l’écrit, développer son ressenti artistique est l’un des enjeux de l’éducation artistique et culturelle.
Afin de présenter leur projet, les rencontres qu’ils effectuent, mais aussi structurer leur pensée, la classe de 1ère STAV a créé le compte Instagram @showantigonesstudents.
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Journal de bord – Erwan Bariou – Dernière semaine de résidence :
Erwan Bariou, enseignant d’éducation socio-culturelle construit son programme pédagogique en concertation avec les propositions de La Passerelle. La présence de la compagnie L'Ernestine à Caulnes lui a ouvert un champ des possibles. Au cours des dernières saisons, il a été amené à travailler avec la scène nationale de Saint-Brieuc et la compagnie l’Ernestine. Notamment lors de l’accueil de plusieurs spectacles en hors les murs dans ce lycée. En avril 2022 nait l’envie de construire ce qu’il nomme une « expérimentation » : « de fouiller ce qu’il était possible de mener entre une démarche d’écriture théâtrale et un processus d’éducation artistique et culturelle. » De cette concertation en découlera l’opportunité pour la troupe menée par Chloé Maniscalco d’intervenir trois semaines au sein de cet établissement à la frontière des Côtes-d’Armor et de l’Ille-et-Vilaine.
“Mon souhait est de permettre à des artistes de rentrer dans le quotidien d’un établissement. De diffuser, d’essaimer et normaliser une pratique artistique pour qu’elle fasse partie [du] quotidien [des élèves].”
Erwan : J’ai un programme très construit à faire sur l’année. Lors de chaque début d’année j’essaye de construire la thématique autour de ce que je suis amené à traiter avec eux. En classe de 1ère STAV, il y a un programme autour du genre et des identités, un objectif de savoir mener des entretiens. Il s’agit de compétences concrètes. Ils doivent aussi savoir identifier des cibles, avec les moyens de communication et les éléments de discours pour mener la stratégie. Ce que l’on a fait avec Instagram est lié à cela. L’acte de médiation, c’est-à-dire, présenter de manière brève et précise à un auditoire qui part de zéro sur la question. Le choix des mots, la stratégie, tout cela, ça s’inscrit dans le programme que j’ai avec elles et eux.
L’enjeu au début, en octobre et novembre, c’était de percevoir l’angle d’Antigone. Les élèves sont resté·es pendant longtemps, uniquement sur la question des violences faites aux femmes. « À la recherche des Antigones vivantes » a été un axe fort, que l’on a martelé : avec de la photographie, où j’ai utilisé le travail de Salgado, avec des allers et retours avec Chloé [Maniscalco]. Le travail de retour que vous avec effectué, Elisabeth [Millet, chargée des relations avec le public à La Passerelle] et toi [Erwan Maguet, attaché à la communication numérique à La Passerelle] a été l’occasion de faire un travail d’évaluation individuel auprès des élèves. À vous d’écrire pour savoir où nous en sommes. Les partenaires me servent de « prétextes » qui permettent à ces adolescent·es de franchir des marches. Désormais, je les trouve mûr·es pour aborder la notion d’intention. Qu’est-c’est qu’une intention dans le théâtre, mais aussi quand j’écris ou dis quelque chose ?
Pour moi il y a une compétence majeure qui est acquise aujourd’hui par les élèves. Je reviens à la rencontre au Petit Théâtre à La Passerelle jusqu’à aujourd’hui, il y avait des mots qui leur étaient barbares. Résidence, plateau, mise en scène, scénographie, jeu et des codes à l’intérieur de cela. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que le vocabulaire du théâtre et de la médiation culturelle est désormais compris.
L’heure du bilan pour la classe de 1ère STAV avec leur enseignant Erwan Bariou et Chloé Maniscalco, metteure en scène
Journal de bord – Compagnie L’Ernestine – Deuxième semaine :
Une nouvelle semaine forte en rebondissement pour la compagnie L'Ernestine qui a pu continuer leur résidence au Lycée de Caulnes. En plus des travaux propres à la création du futures spectacles, des temps sont aménagés pour réaliser ateliers et discussions avec les élèves. C'est sur l'un deux que revient la compagnie :
« [Nos ateliers] leur ont donné des outils pour débattre et se sentir légitime à prendre la parole » Marie-Laure Picard
Lou : Les temps d’ateliers sont assez courts, on fait à la fois de la pratique, de l’imaginaire, de la création et de la réflexion autour des injustices. Mais on n’est pas là pour faire des cours de philosophie non plus. On leur a donné trois texte, l’un sur deux personnes qui reviennent d’un stage de désobéissance civile, un texte d’Antigone de Anouilh et le dernier texte était de Cédric Hérou sur son arrestation et le fait qu’il cache des migrants. Ce n’est pas des textes anodins, mais en atelier, c’est utilisé pour se mettre en jeu. On a travaillé deux après-midi sur ces textes là et ils ont totalement su se les approprier, qu’ils ont pu utiliser ensuite dans le débat comme arguments. J’ai été assez bluffé.
Chloé : L’enseignant permet aussi de faire le lien, il fait son travail au long cours et c’est hyper pertinent pour voir à quel endroit ça infuse. En s’appuyant sur la fiction, cela nous permet aussi de parler de beaucoup de choses. On ne sait pas du tout leur avis sur les textes qu’on leur a donné et ce n’est pas du tout le but. C’est juste qu’en ramenant de la fiction, on leur donne des matériaux que l’on peut ensuite questionner en tant que fiction et pas en tant qu’individu et qui nous permettent de sortir d’un raisonnement binaire « tu as tort / tu as raison » qui empêche les nuances. Dans le jeu, on est dans ce moment de doute, de questionnement, parce que pour comprendre l’autre, pour l’incarner, on est forcément dans cette forme de rapport. C’était hyper important pour nous de ramener ces textes à cet endroit là. Je ne sais pas si j’ai tort, je ne sais pas si j’ai raison, mais on va voir ce que l’on peut faire avec toute cette complexité là (rires).
Lou : Pour moi entendre un adolescent de 17 ans : « mais c’est légal ou c’est légitime », je me dis que j’ai bien fait mon travail. (rires).
Marie-Laure : Dans ce que j’ai vu jouer, ils les vivaient ces textes, donc ils les avaient compris. Pour l’enregistrement de leurs textes, ils ont du le relire plusieurs fois. Au début, ils ont eu des difficultés. Normal. Première lecture, seconde lecture, … À un moment, je leur ai dis de prendre le temps de lire et de le comprendre. La ponctuation, cela va vous permettre de vous approprier ce que cela raconte. Suite à cela, ils l’ont super bien lu. J’ai senti que leur émotion n’était pas la même. Il y avait une certaine empathie auprès de ses textes et ils ont su ainsi se l’approprier. À leur âge, il y avait beaucoup de textes que je ne comprenais pas. Le théâtre et la parole à voix haute permet cela. Comprendre et s’en emparer.
Journal de bord – Chloé Maniscalco – Première semaine :
On peut enfin travailler tous·tes ensemble. Marie-Laure, Lou, moi, mais aussi Erwan, les premières STAV, Erwan & Elisabeth de La Passerelle et le personnel de l’établissement du lycée agricole que l’on croise et qui vont nous nourrir (aussi bien au CDI qu’à la cantine). Dans notre salle, on place et on classe nos livres, Marie-Laure installe son matériel dans sa grotte, on allume nos zooms et on s’assoit. On parle, on prend des notes, on débroussaille, on regarde des élèves ramasser des pommes… Avec eux et elles nous interrogeons le tronc de notre arbre : Antigone, le mythe. Qu’est-ce qu’il nous raconte ? Qu’est-ce qu’il nous donne envie de raconter ? Nous travaillons à créer des branches, pour voir si ces branches peuvent donner des fruits. Nous savons que nous allons en couper certaines et en découvrir d’autres, par sérendipité. Sur une grande nappe accrochée aux murs nous créons des liens entre des sujets, accrochons des post-its, ouvrons des questions. Nous commençons aussi à écrire: des textes, des sons, des images… Le dernier jour, il fait très beau et nous travaillons dehors au pied des pommiers, les pommes qui sont tombées commencent à se transformer, elles vont donner du terreau qui va nourrir les racines. Cette semaine de travail aussi.